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Arrêtez de penser que le monde est compliqué… il est complexe ! – par Marc Halévy – #4 la mutation

Nous ne vivons pas une évolution mais une mutation

La fin de notre système de croyances, de notre mode de pensée induit le nécessaire besoin de changer de mindset.

 

Le projet moderne tient en un seul mot : le "progrès" qui, comme déjà vu, vise la libération de l'homme de tous les jougs (naturels, culturels et artificiels) qui l'entravent et l'empêchent de vivre une "vie bonne".

 

La culture moderne tient aussi en un seul mot : la "raison" qui postule que la seule aune est la "vérité" et que le seul chemin est la "logique".

 

De la tension entre progrès et raison, naîtra un paradigme mécaniciste dont le fonctionnement de tous les sous-systèmes modernes s'imprégneront profondément.

 

Or, aujourd'hui, ces deux piliers de la modernité s'effondrent. Le "progrès" se sait désormais un mythe dangereux puisqu'il a débouché, "logiquement", sur Auschwitz, Hiroshima, le Goulag et Bhopal. Quant à la "raison", elle devient enfin modeste devant les autres chemins de connaissance (comme l'intuition, l'inspiration, le génie) qui ne sont pas nécessairement "logiques" et qui ne se perdent pas dans l'aporie de la "vérité" ("est vrai ce qui donne raison à la raison" … voilà toute la tautologie rationaliste).

 

Face à l'effondrement de ses deux piliers fondateurs, le paradigme moderne n'est plus apte à assumer la réalité du monde humain désormais globalisé. Les notions de progrès et de raison, par exemple, ne signifient pas grand' chose pour les cultures chinoise, indienne ou autre ; ce sont des mythes proprement occidentaux, c'est-à-dire helléno-chrétiens.

Les bifurcations dans le passé

Ce phénomène d'obsolescence d'un paradigme qui nous vivons aujourd'hui, planétairement, n'est pas un accident de l'histoire des hommes. On l'a dit, tout paradigme est un système vivant qui naît, croît, murît, décline et meurt. Sans entrer dans les détails que j'ai pu développé ailleurs (voir mon : "Prospective : 2015 - 2025" paru chez Dangles en 2011), il faut retenir ce qui suit.

 

La durée de vie d'un paradigme est assez stable et tourne autour des 550 ans.

Par exemple, pour l'Europe, de manière très grossière :

  • L'hellénité : entre -700 et -150.
  • La romanité : entre -150 et +400.
  • La gothicité : entre 400 et 950.
  • La féodalité : entre 950 et 1500.
  • La modernité : entre 1500 et 2050.

On remarquera que les trois derniers paradigmes pourraient être rassemblés sous l'étiquette globale de "chrétienté", les précédents relevant d'une "antiquité"

 

Chaque cycle paradigmatique est aussi, bien sûr, travaillé de l'intérieur par des cycles plus courts (des cycles de 11 ans rassemblés par trois en cycles de 33 ans, par exemple) mais également soumis à de l'événementiel acyclique et, souvent, aléatoire.

L'histoire n'est ni une science exacte, ni une mécanique horlogère. Mais elle n'est pas non plus dénuée de régularités systémiques.

Les 3 éléments caractéristiques d'un paradigme

Une autre manière de regarder et de comparer les paradigmes successifs de l'histoire peut être illustrée par les considérations suivantes, à titre d'exemple.

 

Un paradigme économique peut être caractérisé par la donnée de trois définitions : celle de son étalon de richesse, celle des promoteurs de cette richesse et celle du lieu central de richesse.

 

Ainsi l'ère féodale définissait l'hectare de terre comme unité de richesse, la noblesse guerrière comme promoteur de cette richesse agraire, et le château fort au milieu du fief comme lieu central des transactions économiques locales.

 

A la Renaissance, tout change. Les surplus agricoles engendrés par la révolution agraire des 12ème et 13ème siècles, doivent être écoulés ailleurs, sur les foires lointaines. Une nouvelle économie naît : ce sera l'économie moderne.

 

Celle-ci redéfinit ses fondements : l'unité de richesse devient la monnaie (avec le droit régalien, fondateur de l'Etat moderne, de battre monnaie, et avec la naissance des banques sous la conduite des Lombards) ; les nouveaux promoteurs de la richesse forment la bourgeoisie marchande (aïeux des capitaines d'industrie du 19ème siècle et des capitalistes et financiers du 20ème siècle) ; et le nouveau lieu central de la richesse est, au cœur des villes, la place du marché, à l'ombre du beffroi, symbole du contre-pouvoir laïc et financier en face du clocher de l'ancien pouvoir ecclésial.

Les bases d'un nouveau paradigme

Nous vivons, aujourd'hui, une bifurcation du même type accélérée, elle aussi, par une révolution technologique : la révolution numérique qui explose à la fin du 20ème siècle. L'unité de richesse devient l'octet, mesure de l'information et de la connaissance. Les promoteurs de la richesse deviennent les experts, les intelligents, les talentueux. Le lieu central de la richesse devient la Toile. Ce nouveau paradigme ne remplace pas l'ancien mais il s'y superpose en le périphérisant (comme le paradigme marchand et bourgeois n'avait nullement éliminé le paradigme agraire, mais l'avait peu à peu marginalisé).

Le processus de la mutation paradigmatique

Une bifurcation historique correspond à un changement de paradigme. Un paradigme ancien est devenu obsolète, décline et devient incapable d'assumer la réalité du monde tel qu'il est devenu. Un nouveau paradigme est en émergence qui, lui, forge une nouvelle logique interne qui sera apte à assumer cette nouvelle réalité.

Entre ces deux paradigmes, c'est la guerre. Et cette guerre induit une zone de grande turbulence que l'on appelle, habituellement, la ou les crise(s).

Nous vivons une telle période.

 

Cette guerre intestine, profonde et diffuse, résulte de l'antagonisme grandissant entre les forces vives du nouveau paradigme et les institutions de pouvoir de l'ancien paradigme qui, ne l'oublions pas, ont mission de pérenniser le paradigme dont elles sont issues.

Une institution de pouvoir ne peut pas entendre, comprendre et accepter qu'elle est devenue obsolète ; elle est incapable ni de concevoir, ni d'entrevoir l'existence et la montée d'un paradigme autre que celui qui l'a engendrée.

 

Notre époque est au cœur de cette tourmente qui scelle la fin de la modernité au travers des cinq ruptures irréversibles exprimées plus haut et qui voit émerger un nouveau paradigme qui s'organise, peu à peu, au travers des réponses aux cinq défis relevés supra.

Voilà où nous en sommes.

 

Cette tourmente va-t-elle encore durer longtemps ? En gros il faut un siècle et demi pour boucler le passage d'un paradigme au suivant. Partons du principe, partagé par beaucoup, que la première guerre mondiale marque le début du déclin du paradigme moderne (les années 1920 se sont ingéniées à remettre systématiquement en cause toutes les normes des arts, des sciences, des mœurs et des valeurs de la modernité). Ajoutons-y le siècle et demi de transition, et l'on on peut estimer que le nouveau paradigme commencera à se stabiliser à partir de 2070, environ.

 

Le point de bascule de l'ancien paradigme vers le nouveau paradigme, est un moment crucial du processus. Nous sommes en plein dedans, spécialement des points de vue écologique et technologique. Les basculements concernant la réticularisation sociologique, le modèle économique et l'éthologie humaine commencent à poindre, plus ou moins rapidement selon les contrées, mais l'ancien système (hiérarchie et dépendance, économie de masse et de prix, morale du confort et de l'égocentrisme) y est toujours dominant.  C'est d'ailleurs sur ces trois retardataires que les institutions de pouvoir s'appuient pour se maintenir en vie ("lutte" pour l'égalité, "lutte" pour le pouvoir d'achat, "lutte" pour la sécurité) en hypertrophiant les problématiques de l'identité (la "culture" nationale) et du progrès (la "croissance").

 

Si l'on en croit certains, la période de grande turbulence dure environ une demi siècle. Elle s'étendrait, ainsi, entre 1975 et 2025. Mais ces dates sont tout sauf rigoureuses ; il s'agit seulement d'ordres de grandeur.

Nous vivons, aujourd'hui, une bifurcation du même type accélérée, elle aussi, par une révolution technologique : la révolution numérique qui explose à la fin du 20ème siècle. L'unité de richesse devient l'octet, mesure de l'information et de la connaissance. Les promoteurs de la richesse deviennent les experts, les intelligents, les talentueux. Le lieu central de la richesse devient la Toile. Ce nouveau paradigme ne remplace pas l'ancien mais il s'y superpose en le périphérisant (comme le paradigme marchand et bourgeois n'avait nullement éliminé le paradigme agraire, mais l'avait peu à peu marginalisé).

La reprise ?... Une méprise !

Les médias qui, dans leur majorité, sont financés par les institutions de pouvoir, Etat en tête, relaient, bien sûr, les discours dominants de ces mêmes institutions. Le concept magique qui y est répété ad nauseam, est celui de la "reprise" (entonnée en chœur par les institutions financières, bancaires, étatiques, boursières, patronales et syndicales … et soutenue par les économistes universitaires avides de budgets de fonctionnement).

Mais de quelle reprise parle-t-on ? Reprise de quoi ?

Mais de l'ancien paradigme, pardi ! "Dormez, braves gens (et votez pour nous) ; bientôt, tout reviendra comme avant. Faites-nous confiance. La reprise est là. Vous allez voir. Il faut seulement être patients et nous laisser faire". Voilà tout le discours, assaisonné de toutes les nuances phraséologiques et idéologiques que l'on voudra, sur le large spectre allant de l'extrême-gauche à l'extrême-droite.

 

Ce discours médiatique et institutionnel est absurde. La thermodynamique, la systémique et la physique complexe le savent pertinemment : un système vieillissant, sur le déclin, obsolète et en voie de mort, ne revient jamais en arrière. Il n'y aura jamais de "reprise".

 

La Vie va de la naissance à la mort. Et jamais en sens inverse. Pour le dire dans le jargon physicien : les processus complexes sont irréversibles. Dont acte !

 

Nous vivons la fin d'un monde. Et la naissance d'un autre monde dont on sait surtout qu'il sera radicalement différent, avec de tout autres institutions à venir que celles de la modernité que nous continuons à subir à grand frais.

CONCLUSION en quatre points coup de poing !

1# La bifurcation majeure actuelle (la "crise") est inéluctable : toute gesticulation politique, syndicale ou financière est inutile, vaine et illusoire.

2# La bifurcation majeure actuelle (la "crise") est irréversible : l'ancien "monde" est mourant et tout acharnement thérapeutique est absurde et contre-productif.

3# La bifurcation majeure actuelle (la "crise") est indispensable : la survie (partielle) de l'humanité passe nécessairement par un changement radical de ses modalités d'existence.

4# La bifurcation majeure actuelle (la "crise") est incertaine : rien n'est écrit, tout doit être inventé et le temps presse car plus l'enfantement de l'humanité nouvelle tarde et plus l'accouchement sera difficile, douloureux et dangereux.